top of page

Aïssatou Diouf, chargé Dpt Climat à l’ENDA Tiers-Monde (Sénégal)


L’Afrique doit être une force de proposition coordonnée

Aïssatou Diouf, chargée de plaidoyer Climat à l’ENDA Tiers-Monde (Sénégal)

Depuis sa création en 1972 à Dakar, ENDA – environnement et développement du tiers-monde, agit dans 14 pays contre la pauvreté, pour la diversité culturelle et pour le développement durable, en intervenant auprès des groupes de base, des intellectuels et des décideurs. Aïssatou Diouf, 32 ans, est sa chargée de plaidoyer Climat. A la veille de la COP21, elle analyse la situation et les capacités d’action de l’Afrique dans les négociations.

L’Afrique est-elle le continent qui souffre le plus du changement climatique ?

Certainement. L’Asie du Sud est également très impactée mais, sur les dix pays les plus vulnérables au changement climatique, six sont africains : Guinée-Bissau, Sierra Leone, Soudan du Sud, Nigeria, République démocratique du Congo, Ethiopie[1]. Le dernier rapport du GIEC montre que l’Afrique s’est déjà réchauffée de 0,5 à 2 °C, avec des incidences énormes : dégradation de la qualité des sols, avancée du désert, diminution des ressources en eau, mais aussi pluies tardives avec des conséquences sur les rendements agricoles et la stabilité des écosystèmes. Il faut ajouter les sécheresses récurrentes, les inondations, l’érosion côtière avec des milliers de personnes qui voient leur habitation ravagée...

Quelques exemples en Afrique de l’Ouest, sous-région particulièrement affectée : le Bénin a éprouvé une élévation de température de 1,3°C entre 1960 et 2010, en particulier à partir de 1995. Au Nigeria, les inondations géantes de juillet-septembre 2012 dans le delta du Niger ont causé 363 morts et 2,1 millions de déplacés, ainsi qu’une chute de 20 % de la production pétrolière. En Côte d’Ivoire, notamment à l’est du pays, 150 des 500 km de littoral se sont érodés à raison d’un à dix mètres par an au cours des dix dernières années, menaçant des villages historiques de disparition. Au total, c’est l’ensemble de la sécurité alimentaire, humaine, et même économique, qui est très concrètement menacée.

« Sur les dix pays les plus vulnérables au changement climatique, six sont africains »

Quelle est la responsabilité des pays africains ?

L’Afrique n’est aujourd’hui responsable que d’environ 4 % des émissions globales, et historiquement elle n’a presque aucune responsabilité dans le stock de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère. C’est l’une des plus grandes injustices du changement climatique : l’Afrique, continent qui a le moins pollué, paye le plus lourd tribut. D’où la notion de « dette climatique » : dans leur transition vers une croissance durable, les pays africains ont toujours demandé de l’aide financière et technologique de la part des pays développés. Cet appel a été partiellement entendu sur le plan formel à travers la création du Fonds vert pour le climat lors de la COP15 à Copenhague en 2009. Mais à ce jour, ce fonds n’a été abondé qu’à hauteur de 10 milliards de dollars.

Sous l’influence des pays industrialisés ou développés, dits « de l’Annexe I », les négociations en cours sur le climat se focalisent délibérément sur les émissions actuelles de GES plutôt que sur les émissions historiques[2] dont ils sont les plus responsables. La Gambie, qui n’est responsable que de 0,01 % des émissions mondiales, s’engage ainsi à réduire ses émissions des GES de 45 % par rapport au scénario business as usual[3] d’ici 2030 ! Mais pour les pays africains, l’enjeu n’est pas tant de réduire les émissions que de les éviter dans le futur, et surtout de lutter contre la pauvreté en développant l’accès à l’énergie pour tous. Plusieurs pays africains comme le Maroc et l’Ethiopie ont soumis des contributions en ce sens, fondées notamment sur un fort développement des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique.

En sa qualité de deuxième puissance économique africaine et de membre du G20, l'Afrique du Sud pourrait être en position d’influencer la lutte contre le changement climatique. D’autant que ce pays est le premier émetteur de GES en Afrique – très loin devant le Nigeria - et le douzième dans le monde[4]. Mais loin de vouloir réduire ces émissions, le gouvernement prévoit de remettre en service d'anciennes centrales au charbon et d’en construire davantage ces dix prochaines années. Ce qui est très regrettable, car l’Afrique du Sud dispose d’un potentiel énorme de développement des énergies renouvelables, et de moyens pour bénéficier des technologies existantes en vue de commencer à réduire ses émissions dès à présent, et non pas à partir de 2025 comme annoncé dans sa contribution pour la COP21.

« L’Afrique n’est responsable que de 4 % des émissions globales, et historiquement elle n’a presque aucune responsabilité dans le stock de GES dans l’atmosphère »

Quel rôle les pays africains devraient-ils jouer dans les négociations de la COP21 ?

En tant que continent le plus touché par le changement climatique, et vu le faible respect des engagements pris par les pays développés pour l’aider face à ce défi majeur, l’Afrique devrait être en mesure de se positionner pour faire basculer le cours des négociations. Il faut pour cela que les pays africains s’unissent dans leurs objectifs et se coordonnent dans la méthode.

La position de l’Afrique dans les négociations sur le changement climatique est définie par le Groupe des négociateurs africains, qui suit les directives communiquées par l’Assemblée de l’Union africaine, par le Comité des chefs d’État et de gouvernement africains sur le changement climatique et par la Conférence des ministres de l’environnement. L’Afrique regorge de négociateurs compétents sur le changement climatique, mais il leur est difficile de rivaliser avec les négociateurs des pays développés, aidés par une multitude d’experts. D’autant qu’un problème financier se pose souvent aux pays africains pour envoyer des négociateurs en nombre suffisant, la Convention[5] ne prenant en charge que deux personnes par pays. Surtout, les négociateurs africains manquent d’un soutien politique fort de leurs dirigeants. Ainsi que le remarque le leader paysan kenyan Justus Lavi Mwololo, « les gouvernements négocient théoriquement avec un mandat du peuple qu’ils représentent. Mais si le peuple ne le leur rappelle pas, ils cèdent à la volonté d’autres gouvernements plus forts. Les peuples africains doivent se réveiller et exiger de leurs gouvernements une représentation digne dans les négociations ».

En ce sens, l’Afrique doit être une force de proposition coordonnée pour que les négociations de Paris engagent les 195 pays, sans exception ni accord différencié, dans un accord juridiquement contraignant, à la fois ambitieux et équitable. Ambitieux, pour réduire effectivement les émissions de GES à un niveau ne générant pas plus de 1,5 °C de réchauffement global, lequel signifie déjà une hausse des températures supérieure à 2 °C en Afrique. Equitable, c’est-à-dire abondant le Fonds vert pour le climat à hauteur d’au moins 100 milliards de dollars, dont 50 milliards de fonds publics consacrés à l’adaptation des pays en développement vulnérables aux effets du changement climatique. Pour être pleinement opérationnel, cet accord devra être revu tous les cinq ans.

Précisons le rôle du Fonds vert pour le climat : quels financements, et avec quelles priorités, peut-on mobiliser pour atténuer les changements climatiques en Afrique ? Et pour engager l’adaptation des pays africains, autant que leur transition vers une économie développée non carbonée ?

bottom of page