Ousmane Diallo, agro-pasteur (Mali), membre de la CNOP
Respecter et valoriser la terre
Ousmane Barké Diallo, agro-pasteur (Mali)
Eleveur et agriculteur familial à Sofara (région de Mopti), Ousmane Barké Diallo, 57 ans, est membre de la Coordination nationale des organisations paysannes (Cnop), qui regroupe plus de deux cents organisations dans huit régions du Mali. A la veille de la COP21 à Paris, il dresse un état des lieux alarmant de l’agriculture dans son pays, définit des objectifs et ouvre des pistes d’action.
Vous êtes agro-pasteur dans le centre du Mali depuis près de quatre décennies. Quelle réalité revêt pour vous le changement climatique ?
Dès le milieu des années 1970, les paysans maliens ont commencé à rencontrer des phénomènes météorologiques inhabituels : les grandes sécheresses des années 1973 à 1975, puis en 1984-1985, ont été annonciatrices dans le Sahel d’un cycle de pluie qui a commencé à changer. Auparavant, la saison des pluies se terminait en septembre, maintenant elle dure jusqu’en octobre, parfois même en novembre, avec des précipitations beaucoup plus abondantes qu’il y a deux ou trois décennies. De même, les grandes chaleurs du printemps deviennent insupportables, pour les humains comme pour les cultures. Partout la poussière, anormalement abondante, recouvre les champs. Tous ces phénomènes perturbent nos prévisions et vont jusqu’à gâcher certaines récoltes. Les rendements agricoles commencent à baisser.
Les animaux sont les premières victimes de cette évolution : ils ne mangent plus à leur faim. Les bœufs de labour ne tirent plus la charrue avec la même force, il faut les mettre au repos au bout de deux heures. Les bœufs, les chèvres, les poulets sont faibles, ils ne résistent plus aux maladies. De ce fait, le fumier organique n’est plus aussi abondant qu’avant, ce qui diminue encore les rendements des champs. Finalement, les greniers ne sont pas remplis, la menace d’un manque alimentaire plane constamment.
Le changement climatique est-il l’unique facteur qui affaiblit l’agriculture vivrière malienne ?
Certainement pas. Depuis une quinzaine d’années, dans la zone sahélienne et notamment sur les pourtours du Niger, les paysans maliens subissent un accaparement de leurs terres. Au Mali, la terre appartient officiellement à l’Etat. Dans les campagnes, elle est en pratique aux mains des familles qui les cultivent selon la coutume ancestrale. Elle est cédée de génération en génération, selon un droit d’usage, à l’héritier qui l’exploite et qui en retour nourrit les autres membres de la famille, souvent partis vivre ou du moins survivre en ville. Mais à la capitale Bamako, on voit les choses différemment. Il est possible, depuis la colonisation et plus encore depuis l’indépendance, de se rendre dans un ministère pour acquérir des titres fonciers qui donnent un droit sur une terre et de faire valoir ces titres dans les campagnes. Depuis le début des années 2000, ce phénomène s’est considérablement accéléré. Différents types d’acteurs courtisent les ministères pour acquérir, sur plusieurs milliers voire plusieurs dizaines de milliers d’hectares, des baux emphytéotiques d’une durée de 40, 60 voire 90 ans. Il s’agit le plus souvent de personnes privées, de nationalité malienne, généralement des prête-noms, qui achètent ainsi jusqu’à 5 000 hectares. Ils agissent pour le compte de sociétés multinationales basées au Brésil, au Canada, en Afrique du Sud, en Libye, dans la péninsule arabique, et beaucoup plus rarement en Europe. Certains Etats, parfois mêmes certaines ONG internationales, sont directement acquéreurs de ces titres fonciers, concernant des terres souvent situées sur les rives du Niger. En 2009-2010, le très grand projet de riziculture porté par l’entreprise publique libyenne Malibya sur 100 000 hectares non-loin de Ségou dans l’Office du Niger[1], a été le plus visible de ces chantiers agricoles pharaoniques. Il comportait des expropriations de centaines de paysans et des travaux d’aménagement – construction de routes, déviations de bras du Niger… - confiés à des entreprises chinoises. Au total, on estime à plus de 800 000 hectares, soit plus 8 000 km2, la surface des terres sahéliennes qui ont été accaparées au Mali depuis 2000. Dans un pays vaste mais où moins de 6 % du territoire peut être cultivé, ce modèle a conquis 12 % des terres arables en quinze ans !
Ce phénomène atteint gravement l’agriculture vivrière. En effet, les cultures produites sur ces vastes domaines le sont de façon intensive, avec force déboisement et déversement massif de substances chimiques inconnues, ce qui appauvrit considérablement la terre à moyen terme. De plus, ces cultures sont très majoritairement destinées à l’exportation : notamment riz, sucre, soja ou jatropha, plante originellement destinée à fixer les sols et désormais utilisée pour fabriquer de l’agrocarburant. Ce phénomène massif vient s’ajouter à une autre cause majeure de l’affaiblissement de l’agriculture vivrière au Mali : depuis environ vingt ans, des très nombreuses terres céréalières ont été converties à la culture du coton, jugée plus rentable et également destinée à l’export. Cette culture a connu une crise dès 2004, lorsque les Etats-Unis ont décidé de subventionner leur propre coton, le vendant à bas prix et générant par-là une baisse des cours mondiaux. Le coton malien a été durement touché mais depuis, les cours mondiaux du coton se sont à nouveau régulés… Finalement, l’agriculture vivrière n’est pas du tout l’objectif des nouveaux propriétaires de terres au Mali : ceux-ci sont avant tout animés par des objectifs de rentabilité, voire de spéculation.
Dans un pays où l’autosuffisance alimentaire n’est pas acquise, comment expliquez-vous cette tendance centrifuge de l’agriculture malienne ?
Cette tendance centrifuge est encouragée par les pouvoirs publics. Depuis les années 1990, les gouvernements successifs du Mali prônent une ouverture totale de l’agriculture aux investisseurs. La vocation des terres agricoles est en train d’évoluer très vite, vers ce que le gouvernement appelle l’agriculture utile, l’agro-business prétendument seul capable de nous développer. Les relais du gouvernement auprès des paysans sont nombreux : notamment les CRA (Chambres régionales d’agriculture) et l’Apcam (Assemblée permanente des chambres d’agriculture), créées et entretenues par les pouvoirs publics. De plus, le Mali est signataire de presque toutes les conventions et traités prônant l’ouverture maximale du commerce international. Dans ce cadre, on assiste à un bradage des ressources foncières et à une fuite des ressources naturelles du pays.
Un des principaux problèmes est que l’Etat malien est faible. Faible, notamment, face aux organismes internationaux publics ou privés – Banque mondiale, FMI, certains Etats, multinationales agroalimentaires… - qui exercent des pressions pour qu’il rende les ressources du pays le plus accessible possible, en vue de favoriser soit leur propre intérêt, soit l’idée qu’ils se font de la croissance mondiale. La pression exercée pour la signature des accords de partenariat économique (APE) avec l’Union européenne en est une des illustrations. La plupart des Etats africains ne sont pas assez forts pour résister à ces pressions.
Dans ce contexte, comment agissez-vous ?